On pourrait mettre ces quelques mots sur la mélodie de Jean-Jacques Goldman et sa chanson « Comme Toi » qui nous dit qu’ « elle s’appelait Sarah, elle n’avait pas 8 ans, c’était une petite fille sans histoire et très sage ». A quelques mots près, on pourrait parler d’elle.

Elle, Simone, née en 1925. Elle, c’était ma grand-tante, la tante de ma mère, la soeur de ma grand-mère décédée quand j’avais presque 4 ans…

Elle, elle est partie il y a à peine 2 semaines, ce lundi 6 février au matin à plus de 91 ans. Au bout d’une longue vie de labeur, au bout de nombreuses années de maladie, la maladie de l’oubli

Elle, elle était la grand-mère que je n’ai pas eu. Entre celle décédée quand je n’étais qu’une minuscule petite fille et celle partie bien plus tard mais qui n’a jamais vraiment su qui j’étais, c’est elle, entre autre, qui a pris ce rôle à coeur, qui m’a mise dans son coeur… C’était « Nono » depuis près de 60 ans. Quand ma mère et son frère étaient petits, c’est ainsi qu’ils l’appelaient et nous avons tous suivi.

Mes yeux et ma tête ont décidé, depuis 2 semaines, de ne garder que les jolis souvenirs, de me rappeler d’elle comme cette femme ronde et joufflue qu’elle a toujours été. Toujours, jusqu’à l’arrivée de la maladie de l’oubli… Cette belle femme rousse, joyeuse, rigolote, parfois à son insu, généreuse. Plus généreuse que n’importe qui. La générosité incarnée, que ce soit matériellement ou non. Elle a toujours fait preuve d’altruisme, elle était intelligente et aimait se cultiver chaque jour!

Pendant mon enfance, elle était celle qui me rapportait des cadeaux, toujours sous forme de vêtements, des pulls qui grattaient aux pyjamas en pilou-pilou. Celle qui un jour m’a fait choisir entre un livre sur les oiseaux ou sur les papillons. J’ai choisi celui des papillons, je pense que les images des chenilles et détails du papillon ont suffit à créer la phobie qui s’est donc installée depuis plus de 20 ans maintenant.

Elle, c’est celle qui m’a hébergé pendant quelques mois quand je me suis retrouvée à la porte de mon propre appartement, quand revenir vivre chez ma mère n’était pas la meilleure idée quand on vient d’en partir et qu’on étudie et travail à plusieurs dizaines de km. Elle est celle qui m’a proposé une chambre, avec mon chat, qu’elle a nourrit jusqu’à ce qu’il roule à notre départ pour notre appartement. Elle est celle qui me préparait le dîner lorsque je terminais mon cours de russe à 20h le lundi soir. Celle qui m’attendait coûte que coûte quand je terminais le travail, après les cours, même si c’était tard, avec une assiette toujours sur la table. Celle qui me laissait dormir les rares matins ou je pouvais me reposer, celle avec qui j’ai découvert de jolis coins de la France lorsque nous regardions « la carte aux trésors » sur la 3.

J’aurai tant à dire sur elle mais les mots me manquent. La peine est plus grande que je ne l’aurai imaginée. Peut être que « le tout » y est pour quelque chose, je ne sais pas.

Mon fils, mon Ptitchat a eu la chance de la connaitre. Il est né quelques jours avant qu’elle se soit fracturé le fémur. J’ai eu l’audace de le lui emmener à l’hôpital alors qu’il avait 19 petits jours. Il a été son rayon de soleil. Elle a recommencé à manger, elle s’est battue, s’est requinquée. Mais ses souvenirs se sont envolés au fur et à mesure. Pourtant, les quelques fois ou je suis allée la voir avec lui, elle savait qui il était, son prénom, pourtant pas vraiment dans son registre, un peu trop exotique pour son âge… Son deuxième prénom, en revanche, c’est le sien que nous avons masculinisé. Dès que j’ai su que j’attendais un garçon, je savais que ce serait son 2ème prénom. Je ne savais pas si elle le verrai grandir, j’ignorais encore que sa tête n’en ferait qu’à sa tête justement,  mais il fallait qu’il ai quelque chose d’elle. Il fallait que son âme trouve un second corps à honorer pour les années à venir.

Processed with Rookie Cam
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Malheureusement, je ne lui ai pas présenté Babychat… J’aurai pu. Mais la maladie l’avait changée, et lui avait apporté une violence que jamais elle n’avait eu auparavant. Avec toutes les maladies qui trainent dans les maisons de retraite et les quarantaine, j’ai reporté… jusqu’à ce qu’il soit trop tard. Je suis sûre qu’elle aurai eu une lueur de lucidité en la voyant tant elle me ressemble quand j’étais petite… Mais c’était difficile de lui dire et redire « Bonjour ma Nono, c’est Angélique, ta nièce » à plusieurs reprises que je n’ai pas eu la force d’affronter tout ça.

La dernière fois que je l’ai vue c’était pour son anniversaire. Elle ne comprenait pas ce qu’on racontait, ce qu’on faisait là avec nos gâteaux, ni qui nous étions. Elle l’oubliait au bout de quelques dizaines de minutes. Elle nous parlait de son enfance comme si c’était maintenant. Je suis repartie de là bas en larmes, le coeur plus froid qu’à l’aller

Il y a quelques semaines, mon frère et moi avions envisagé de trouver une date pour aller la voir. Mais il en a été autrement. Nous l’avons revue, mais pas de son vivant. Quand il m’a appelé le lundi 6 février alors que je m’apprêtais à aller faire la sieste avec mon fils et qu’il m’a dit « je ne sais pas si c’est une info ou une intox » (complexe familial compliqué!), je lui ai dit « ok ». Quand ma mère m’a appelé en larmes dans les 2mn qui ont suivi, j’ai juste su lui dire « bon, c’est vrai alors ». J’ai eu la gorge nouée, j’ai eu quelques larmes mais mon cerveau n’avait pas saisi la réalité des choses. Les heures et jours qui ont suivi ont été bien plus violents et douloureux, ponctués de crises de larmes. A 91 ans, je trouve que c’est l’histoire de la vie, que c’est normal et sans doute moins douloureux que si la vie prenait la vie de quelqu’un de plus jeune mais c’est triste quand même. C’est une partie de notre enfance qui s’en va et c’est désormais à nous de retenir ces souvenirs et les transmettre à nos enfants. C’est aussi angoissant car pour nos esprits ça veut dire que, grosso modo, les prochains devraient être nos parents, puis nous et ainsi de suite… Pour l’instant, mon coeur est encore un peu lourd en écrivant ces lignes et mes yeux sont humides mais j’espère qu’avec le temps ce ne sera plus le cas et que je pourrai parler d’elle avec un grand sourire.

Pour ses obsèques, nous avons respecté à la lettre ses volontés et avons essayé de faire tout ce qu’elle aurait voulu. Nous n’avons pas fait d’erreur, je crois, j’espère. Je crois qu’elle repose désormais en paix. Ce qui est paradoxal puisqu’elle n’était déjà que paix et bonté de son vivant…

On m’a dit une très jolie phrase lors de son départ que j’ai aimé enregistrer dans ma mémoire :

« Elle est partie retrouver les souvenirs qui s’étaient envolés avant elle »

Et j’aime à penser que c’est le cas, que désormais, elle ne se bat plus contre sa mémoire mais qu’elle nous voit là haut et qu’elle protège mes enfants et mes neveux à venir…

Repose en paix ma Nono, que ton repos soit aussi doux que ton coeur était bon…